Ce weekend ,nous étions à l’Open de Paris de Karaté. Une compétition internationale qui rassemble chaque année des karatékas venus d’Europe et d’ailleurs. Notre coachée Overflow combattait en catégorie -61kg pour tenter de décrocher, une place en finale le lendemain.

Championne d’Europe en 2020, Emma Elisabeth est une athlète de 19 ans, du CREPS d’île de France(Centre de Ressources d’Expertise et de Performance Sportive) . En 1ère année de licence de STAPS, elle enchaine chaque semaine 22 heures de cours, et pas moins de 10 heures d’entrainement.

Ce samedi 22 janvier 2022, j’ai attendu avec elle pendant de longues heures, son passage sur le tatami de l’Open de Paris. Pas moins de 3h30 de retard sur la programmation. Son combat contre la karatéka Ukrainienne qui lui faisait face a duré 3 minutes. Emma a mis le premier point, son adversaire a égalisé, puis dans les 7 dernières secondes, Emma a prit le second coup.

Ce coup qui a mis fin à la compétition…qu’elle préparait depuis des mois, tant sur le plan physique que mental. Alors que se passe-t-il dans une tête d’un athlète après une défaite ? On en parle aujourd’hui !

 

 

La solitude de la défaite.

De retour dans la salle d’échauffement après ce premier combat perdu, Emma ne sait pas encore qu’elle est éliminée. Car le résultat du combat suivant de l’Ukrainienne détermine tout : si elle gagne, Emma va au repêchage, si elle perds, Emma est éliminée de l’Open de Paris. C’est un laconique “Tu peux te rhabiller”  reçu par SMS de son entraineur, qui prévient notre coachée que tout est terminé !

Je prends le temps de quitter les gradins du stade de Coubertin pour aller la retrouver. Elle est assise par terre sur un tatami, tête baissée, regard vide. Que se passe-il  à ce moment là ? Où sont les entraineurs ? Et ses amis karatékas ? Que se passe-t-il dans sa tête au cœur de la défaite ? 

 

Seule face à soi-même.

C’est l’enfer cet instant là. Celui ou il n’y a plus aucune possibilité de montrer ses capacités. C’est terminé, plus de retour en arrière possible. La moulinette mentale se mets en route sous l’emprise des émotions qui traversent la karatéka.

Pourquoi je n’ai pas attaqué ? A quel moment ça a vrillé ? Est-ce que j’y croyais vraiment ? Ai-je tout donné ? Que fallait-il faire différemment ? Je suis dégoutée, tout ça pour ça ! Sérieusement je pourrais sortir avec des potes le weekend, manger macdo sans me soucier de mon poids pour la compétition, et puis vivre comme tous les jeunes de mon âge, merde ! Je suis éliminée sur un seul combat ! 

C’est à cet instant là, où le cœur pèse 100 kilos que je  m’approche d’elle. Je l’observe, seule, personne autour d’elle. Emma était dans la dernière catégorie à passer, et dans la salle de chauffe, il n’y a plus un seul athlète. Tous les  entraineurs sont partis avec les sportifs qui assureront demain la journée de finales. Et dans ce sous-sol au goût amer de la défaite, c’est vide, juste le vigile de la sécurité qui me fait signe que je peux entrer.

Si le résultat avait été différent, Emma serait entourée de photographes et d’amis karatékas, et son nom serait déjà sur les réseaux sociaux. Son club, fier d’elle, aurait immortalisé d’un selfie ce petit moment de gloire.  Mais là, jour de défaite, n’y a plus rien et plus personne. 

Alors c’est ça la solitude d’un champion après une défaite ? Les projecteurs sont ailleurs, car on n’a pas brillé pendant ces trois minutes sur le tatami. La mâchoire est serrée, on n’a pas envie de parler, le ventre est dévasté, et c’est au dessus d’un gouffre vide que semble léviter notre coachée.

 

Seule face aux autres.

Je prends le temps de la regarder sans avancer, nos regards se traversent. Emma et moi avons passé 3 mois de préparation mentale ensemble. Un travail intensif et personnalisé qui nous a permis de nous connaitre et surtout de tout dire, sans même parler parfois. Je ne peux ressentir sa douleur, mais elle est facile a percevoir. Je connais à la perfection chaque mouvement de ses sourcils et ce qu’ils signifient.  Ses yeux sont vite détournés par son téléphone qui sonne...c’est son île qui appelle, la Réunion, et sa famille qu’elle a quitté il y a 4 ans, pour devenir championne en métropole.

“Salut maman…ouais ouais ça va…euh je ne suis pas encore sortie là, je suis avec Flora, je te rappelle quand je rentre ok ?”

 

Les athlètes ont-ils envie qu’on débriefe une défaite ? C’est la question que je lui ai posé. Et je peux vous assurer que la réponse n’est pas si aisée. Car Emma n’a pas envie de rassurer les autres, et elle n’a pas non plus envie qu’on la submerge de questions et d’émotions (elle en a déjà bien trop).  Elle n’a pas envie qu’on lui dise “ça va aller, tu feras mieux la prochaine fois” ni même “tu aurais pu…”,ou bien, “tu aurais dû faire ça”. On lui demande : “que s’est-il passé ?”, “pourquoi n’as tu pas attaqué ?”, “Emma la derrière fois, c’était tellement incroyable, qu’est ce qui a changé ?”.  Alors je touche son épaule doucement et je lui demande simplement :

Que vas tu faire en sortant ? …“Bah je vais rentrer dans mon 15 m2, je dois appeler mes parents et puis je vais regarder mon plafond blanc !”.

Je croise l’une de ses amies du CREPS qui lui rappelle gentiment qu’elle n’a pas ses clés d’appartement… “mais où les as-tu laissé en partant, elles ne sont pas dans ton sac ?”. Elle s’en fou de ses clés, elle voulait juste gagner !

 

Pourquoi si peu de feedback mental et émotionnel auprès des athlètes ?

Emma reprend son sac, il n’y aura plus aucun combat aujourd’hui, ni de finale demain. L’Open de Paris c’est fini. Elle s’apprête à rentrer seule dans son petit appart de région parisienne, avec l’envie évidente de tout abandonner. L’esprit brouillé par la déception, la colère, et le regard empreint d’une profonde tristesse.

Le 20 décembre dernier, elle reprenait le RER B, après sa victoire et avec une coupe de France entre les deux mains. Alors maintenant on fait quoi ? Qu’y a-t-il a dire ? Et pourquoi personne n’en parle ?

Je lui dis : “Allez Emma, vient ! on se tire ! il n’y a peut être simplement rien à dire !”

Nous passons à la supérette du quartier, acheter bonbons sucrés et Icetea frais. Elle monte dans ma voiture, car pour cette jeune réunionnaise installée à Paris depuis ses 14 ans, personne ne l’attend. Et pour ses parents qui ont suivi la compétition sur Youtube avec 3h de décalage horaire, c’est l’heure de dormir.

Un espace pour dire.

La préparation mentale telle que nous la pratiquons, n’est pas uniquement basée sur une recherche de résultat, et de performance. C’est avant tout, et surtout, un lieu unique pour se dire et ressentir. Car si les préparateurs physiques et les entraineurs, s’occupent des performances mesurables de leurs sportifs, il convient de constater (sans généraliser) qu’ils sont en général aux abonnés absents au plein cœur de la défaite.

Les parents quant à eux, sont également en très mauvaise posture face à l’échec de leur enfant. Oscillants entre l’envie de rassurer leur protégé ou de débriefer (parfois à chaud) la compétition, ils sont confrontés au silence ou la colère de l’athlète.

Car personne n’a demandé à Emma ce qu’elle ressent !

Notre entreprise intègre dans le suivi et l’accompagnement des athlètes, des séances de feedback émotionnels et sensoriels, que se soit lors d’une victoire ou d’une défaite.  Elle se déroule en trois temps :

1. Observer (le non verbal) / 2. Laisser faire (les réactions émotionnelles et corporelles) / 3. Laisser être (Etre par terre, être fermée, être triste, être en colère… être soi même, sans masque).

Emma sait que je n’attends rien d’elle, que mon métier est d’être d’une parfaite neutralité émotionnelle envers elle.  N’est pas cela la clé pour débriefer librement un échec et en tirer des éléments utiles pour avancer de façon plus efficiente ?

Un moyen pour mieux rebondir.

La préparation mentale et psychologique d’athlètes est une discipline qui prépare et accompagne le sportif, sans recherche de résultat chiffré et de score mesurable vis à vis de sa discipline sportive. En ce sens, le résultat d’un match ou d’une compétition, ne vient aucunement remettre en question la valeur ou le positionnement du sportif dans nos critères de travail.

En effet, si nous possédons des échelles de progression et des systèmes d’évaluation du travail réalisé au fil des séances, le préparateur mental n’a pas d’attentes. Et c’est dans cette relation, dénuée de toute pression,  que l’athlètes peut ressentir, exprimer et analyser calmement, ce qu’il faut ajuster pour la prochaine compétition.

Alors après cette compétition (et avec le sachet de bonbons), nous avons terrassé les démons de la défaite et établi notre plan d’actions pour préparer les championnats de France qui se déroulent dans 5 semaines.

 

Car si l’échec à un goût particulier dans la bouche de nos athlètes Overflow, notre méthode consiste à en analyser précisément la saveur, pour avancer, plus vite et plus loin.