Aujourd’hui nous vous partageons en quelques lignes les tas de questions qui se sont posées cette semaine, à la réception du formulaire contact Overflow Coaching qui m’explique :

Je m’appelle Pascal, je tire à la carabine en milieu handisport. J’ai déjà fais plusieurs compétitions mais à chaque fois, je perds tous mes moyens. Pouvez m’aider à dépasser cela car j’ai été sélectionné pour les championnats de France du 15 février prochain. Vous remerciant pour votre réponse, Cordialement.”

Je  l’appelle et il m’évoque la pratique de sa discipline : le tir handisport, ses entrainements, son objectif compétitif et évidemment son handicap. Il n’a ni l’usage de ses jambes ni de ses bras, et tire à la carabine avec la bouche. En compétition il dispose d’1h15 pour tirer 60 plombs dans la cible.

Avalanche de questions dans ma tête, je décide d’aller voir et observer de prêt comment il pratique.  En raccrochant je me dis “Ce gars a un sacré mental d’acier pour avoir traversé ça et être arrivé ce niveau aujourd’hui. Je vais servir à quoi ?

Comment préparer un programme de préparation mentale optimisé pour un athlète handisport ? 

Et si vous commencions par en parler et aborder les vraies questions ? 

La place de la préparation mentale dans le milieu handisport.

Il faut y croire pour le voir.

Pascal vit depuis ses 20 ans au Foyer Bourgarel APF France Handicap de Chartres. En arrivant, il me présente toute l’équipe du foyer qui est déjà prévenue : “elle c’est Flora, ma préparatrice mentale pour les championnats !”. J’ouvre de grands yeux quand il me montre son incroyable système ingénieux pour manger, avec une cuillère posée sur un socle aimanté (qu’il actionne avec le bout du nez).

Sa chambre regorge de coupes et de médailles par dizaines. Son certificat des collèges est encadré avec fierté, et un drapeau de l’OM et des posters de motos sont sa décoration préférée.

Je prends le temps d’explorer sa caverne d’Alibaba et il me partage son histoire.

 

Handicapé oui, avec le cerveau bien connecté.

Atteint d’une maladie génétique, Pascal marchait jusqu’à ses 16 ans, appareillé et avec des béquilles, certes, mais il était autonome et avait l’usage de tout son corps.  Un jour, on lui a dit qu’il était nécessaire de l’opérer de sa scoliose très importante.

Et puis, CLAC ! Un nerf sectionné, erreur médicale, plus aucune sensation.  “Bonjour pascal, tu ne marcheras plus jamais, voici tes nouvelles jambes” lui annonce le médecin en lui amenant son premier fauteuil roulant.

Du jour au lendemain, il ne ressentait plus rien, mais heureusement son cerveau est resté bien connecté. Et pourtant le corps ne répondait plus aux commandes passées là haut ! Il se passe quoi à ce moment là ? 

 

J’ai tout de suite compris que quelque chose n’allait pas. Je ne sentais même pas les infirmières me laver le bas du corps. Et pendant plusieurs semaines personne ne me disait rien…Je te jure Flora, on aurait cru qu’il me prenait pour un *** ! Comme si je n’avais pas compris après deux mois allongé sans bouger que c’était fini la vie d’avant ! Ils ont mis longtemps pour me dire la vérité les médecins...mais j’avais encore toute ma tête, je n’étais pas bête !”.

Une rééducation aux sensations en solitaire.

Plus de mouvement, plus de sensation, le corps devient une prison dans laquelle il va falloir apprendre à vivre. Car à 16 ans, on a encore des rêves et des ambitions. Alors, pour Pascal c’est le long chemin de l’acceptation qui débute, avec pour seule arme : son mental en fer forgé ! 

“J’ai fais ma rééducation aux sensations tout seul, sans personne.

Car à part me lever les jambes, les kinés ne faisaient pas grand chose pour moi. Alors tous les jours, pendant des mois, j’ai essayé de poser mes talons au sol pour sentir le carrelage. Et devines quoi ? Un jour j’te jure j’ai senti qu’il était froid ! Personne ne me croyais, même les infirmières qui m’ont piqué le pieds par surprise pour vérifier que je sentais”. 

En réalité personne ne sait ce qui se passe dans le corps d’un handicapé. Nous sommes beaucoup trop habitué à regarder ce qui se passe à l’extérieur du corps. Le mouvement visible vient (soi-disant) vérifier la sensation et la perception.

Faut-il bouger pour démontrer que notre cerveau est bel et bien connecté ?

Alors Pascal, me fait réaliser (à nouveau) que ceux qui sont comme Saint Thomas “je ne crois que ce que je vois” ont raté le train ! Nous on ira à Besançon le 15 février, tenter de décrocher le top 3 du championnat !

♠♠♠

 

Quand le corps ne peut agir, quelle est la place du mental ?

Les pensées s’agitent dans un corps sans mouvement.

Pascal s’est lancé dans la pratique du tir sportif avec le club Handisport de Chartres qui propose de multiples activités sportives aux personnes en situation de handicap. Je vais leur rendre visite lors d’un entrainement au gymnase et je découvre le sens du mot handisport. J’entre alors dans un autre monde. Habituée aux gazons bien taillés, aux salles de sport équipées, au staffs sportifs surdimensionnés et aux athlètes musclés…je réalise les moyens dont disposent nos athlètes handicapés !

 

Il a parcouru un sacré chemin pour être là, devant moi, à vivre sa passion sportive qu’il pratique 7 heures par semaine. Dans un gymnase glacé avec en guise d’équipement, deux carrés de carton glissés dans une visière pour optimiser sa vision.

Son coach bénévole installe son fauteuil face à la cible, et hop le cerveau se mets en route.  Des paramètres à régler, une position à ajuster, des étapes à réaliser, une carabine a porter, des plombs à insérer…sans pouvoir bouger !

Et forcément, même sans mouvement, les pensées elles, continuent à valser.  

 

La performance mentale par excellence.

Réalisez-vous la performance mentale ?

Pascal tire pendant 75 minutes, dans son fauteuil roulant les bras posés sur le ventre (les accoudoirs sont interdits en compétition). Placée face à une cible à 10m, la carabine de 5 kilos repose à l’avant sur une potence, qu’il maintien contre son épaule (inerte).

Ce tireur handisport contrôle la précision de son action par les lèvres uniquement. Sa petite réglette en plastique qu’il tient dans sa bouche venant actionner la détente de l’arme.

 

Pourquoi performance mentale ? Et bien car le degré de concentration, de focalisation attentionnelle, de précision et la fluidité du geste unique (le mouvement de sa bouche) reposent essentiellement ses capacités mentales et cognitives, et non pas sur l’axe physique.

Avec Pascal nous avons 3 semaines pour :

  • décortiquer chaque sensation fine, malgré son corps invalide à 90%.
  • identifier la nuance d‘émotions et de perceptions qui traversent l’athlète quand il tire.
  • construire des outils mentaux afin d’optimiser ce qu’on appelle dans notre jargon “son état interne“.

 

La gestion des émotions comme levier principal de progression.

Les mêmes techniques utilisées que pour les valides ?

L’état des lieux est assez vite réalisé, car Pascal à cette grande capacité, à dire ce qu’il ressent. Et évidemment, tout comme n’importe quel athlète, le parasitage de sa performance vient de la cavalerie d’émotions et de pensées qui l’assaille.

Les outils de gestion du stress.

Ce jour là, à l’entrainement, je l’entends pester quand il mets un 9′ dans la cible, et boum… le mental s’emballe. Il n’est pas habitué à avoir une présence extérieure à coté de lui, je parasite son mental et sa bouche vrille au moment de tirer. Il m’indique qu’il a d’ailleurs du mal à faire abstraction de l’extérieur lorsqu’il est en compétition “Je dois toujours regarder les autres et comment ils tirent”.

Les outils de gestion du stress et de l’anxiété pré-compétitive et compétitive, seront au cœur de notre travail durant ces prochaines semaines. Nous allons utiliser un point de couleur imaginaire pour resté focalisé, et la respiration de cohérence cardiaque “en trois vagues” avant chaque plomb tiré.

Pascal perd ses moyens en compétition, au point d’en avoir la tête qui tourne à force de bloquer sa respiration. Il a mal au ventre, ne mange rien dans les 24h qui précèdent.

“Je sais que c’est mental, car en entrainement j’enfile mes 60 plombs à la quasi perfection sans avoir ce genre de réactions physiques”.

Les techniques de relâchement corporel.

Malgré un corps qui ne bouge pas, Pascal ressent des crispations et des crampes. Il me décrit la façon dont il ressent le mauvais positionnement de son bras droit ou la fine sensation de sa lèvre qui part trop de coté, sous l’effet de la pression qui contracte son corps.

Nous préparons alors des exercices de méditation guidée à base de paillettes dorées à pratiquer chez lui,. Il doit expérimenter et apprendre comment relâcher une partie du corps à la seule force de son esprit. Oui oui je vous assure ! On peut gérer des crampes au mental ! Pascal est très bon élève, à la fin de la semaine il m’indique que même les auxiliaires de vie qui le lèvent du lit le matin, n’ont jamais vu son corps aussi relaxe. “Tu es magicienne Flora !”, je lui répond “Non non, c’est toi qui fait tout le travail”.

 

Qu’est ce qui change vraiment, entre la préparation mentale pour un athlète valide et un sportif handicapé ?

 

Patience et disponibilité en supplément.

En réalité, entre athlète valide et handisport, rien de change dans les techniques et outils utilisés pour optimiser la performance. Mais nous pouvons le dire, sans mentir : il y a quelque chose de très spécial qui se développe sans se matérialiser, le 6ème sens !

Faire avec les moyens à dispositions : la parole et le regard.

Comme Pascal ne peut pas me “monter”, nous parlons beaucoup, voir énormément !  L’enjeu de départ étant de bien comprendre ce qui se passe dans le corps et dans la tête aux moments clés de ses tirs. Car dans les yeux d’un valide il ne se passe rien dans le corps de Pascal : tout est invisible.

Pourtant, ses yeux a lui sont des radars, je vais adapter les miens et observer davantage encore.

 

C’est aussi un parcours de patience et de confiance, pour lui comme pour moi. Car il n’est pas facile de se confier et se dire, à une personne extérieure qui vient “infiltrer son cerveau”. De mon côté j’apprends aussi beaucoup de cet athlète incroyable : a être plus posée (et moins bouger moi aussi quand je parle), à expliciter davantage mes questions, et à intervenir avec une disponibilité encore plus grande.

Pascal, est déterminé, ces championnats de France, il veut les vivre et avec le Flow en cadeau ! 

 

Un environnement qui décuple les ambitions.

L’exemple de ce tireur handipsort illustre le fait qu’il est évident que l’optimisation d’une performance par l’axe mental ne laisse rien au hasard. Que c’est un travail et un entrainement qui a une place cruciale dans la performance physique et sportive.

Alors à tous ceux et celles qui pensent (encore) que la préparation mentale consiste à “s’y connaitre en mental de sportif”  je vous répond ! Non ! C’est un métier et surtout des expériences de terrain et humaines, qui viennent nourrir et faire grandir notre passion.

Nos athlètes nous inspirent tous les jours, et Pascal est un exemple qui montre que le handicap est une singularité qui fait éclore et s’épanouir le 6ème sens.